A la table des hommes, Sylvie Germain, Albin Michel


Son obscure naissance au cœur d'une forêt en pleine guerre civile a fait de lui un enfant sauvage qui ne connaît rien des conduites humaines. S'il découvre peu à peu leur complexité, à commencer par celle du langage, il garde toujours en lui un lien intime et pénétrant avec la nature et l'espèce animale, dont une corneille qui l'accompagne depuis l'origine.
À la table des hommes tient autant du fabuleux que du réalisme le plus contemporain. Comme Magnus, c'est un roman hanté par la violence prédatrice des hommes, et illuminé par la présence bienveillante d'un être qui échappe à toute assignation, et de ce fait à toute soumission.


Ce livre n'est pas un polar. 
Ce livre n'est pas un thriller. 
Et pourtant, il a bien sa place dans ce blog tant l'auteur y dépeint une noirceur qui nous plaît. 
Dans une guerre qui n'a pas de nom, un enfant sauvage est recueilli par une population meurtrie qui commence à peine à se rendre compte qu'elle survit. Les plaies vont être longues et dures à panser. 
Dans ce monde apocalyptique, en pleine reconstruction, que les femmes ont pris en charge en l'absence des hommes morts à la guerre, celui qu'elles surnommeront Babel symbolise l'innocence et le renouveau. 
A travers son histoire, l'auteure nous raconte les turpitudes des hommes, leur cruauté, leurs paradoxes aussi. Elle utilise les yeux de Babel qui n'est plus un enfant (du moins physiquement) mais un ado dont le manque d'éducation humaine le fait passer pour un demeuré. Il a appris en effet à vivre avec les animaux dans la forêt. Pour apprécier la texture des choses, il les renifle ou les goûte. Il hume l'air comme un cochon. Il se traîne dans la boue sans être gêné. Il dort dehors. Son territoire, c'est la nature qu'il partage avec les animaux. Il est un animal. 

Et voilà qu'il va se confronter aux humains dont il ne sait pas qu'il en fait partie. Tout au long des 260 pages de ce roman, on va suivre son évolution  à travers une écriture poétique, hypnotisante quasiment sacrée. L'occasion pour Sylvie Germain de dénoncer les travers d'une société violente et vénale. 
Elle évoque aussi le terrorisme lié à la religion : 
"... il fustige les religions, trop souvent causes d'intolérance, de violence s'envenimant en tueries. Au passage, il a rappelé à Babel que les atrocités commises dans son pays d'origine l'ont été  en partie au nom d'appartenances religieuses..."

Elle profite aussi pour prendre fait et cause pour les animaux trop souvent dévalorisés dans notre monde.  Babel lui s'est adjoint la compagnie de Doudi, une corneille qui le suit partout et qui pour lui, représente un repère indéboulonnable. 

Enfin, j'évoquerai le panel des personnages qui entourent notre Babel. Tous aussi mystérieux les uns que les autres. A commencer par Yelnat, l'ancien clown qui l'entraîne dans une nouvelle vie. Et que dire de Clovis ? Comptable le jour, blogueur révolutionnaire la nuit. Il y a aussi Si Bassam l'antiquaire et Lucius le libraire qui complète ce groupe hétéroclite et abîmé. 

A la table des hommes est un formidable roman que nous vous conseillons de lire sans tarder. 
Disponible aux éditions Albin Michel. 


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